Propos recueillis par Jacques Durand.
« Si nous ne vivons pas comme des Frères, nous mourrons comme des fous. » Martin Luther King
Tennisman de renom, chanteur au grand cœur, Yannick Noah, a accordé une interview à Soleil-Levant malgré un emploi du temps de ministre. Yannick se met au service de la joie de vivre, ses concerts en témoignent. Il est un artiste atypique, à la croisée de deux passions, le sport et la musique, et de deux patries : la France et le Cameroun.
Jacques Durand : Le yoga a été un allié précieux dans ton cheminement, comment as-tu connu cette discipline ? Qu’est ce qu’elle t’a apporté ? Pratiques-tu encore au quotidien ?
Yannick Noah : J’ai commencé à faire du yoga un peu par hasard. En fait, il y a des années, de par mon activité de sportif de haut niveau, des personnes m’ont conseillé de faire des pratiques de yoga. Pourtant, mes journées étaient tellement surchargées que je n’avais pas la possibilité, ou le courage, de m’y consacrer une heure après l’entraînement. J’ai laissé passer des années, puis, un jour, en fin de carrière, une amie m’a dit : « Tiens, il y a un cours de yoga, viens voir cela va peut être t’intéresser ». Donc, par hasard, je me suis retrouvé dans un cours collectif. Dès la première séance, il y a 18 ans, j’ai compris que c’était une discipline qui allait m’aider. Aujourd’hui, je pratique quand je travaille. Par exemple, dans la tournée actuelle, j’en fais 45 minutes par jour. J’ai besoin de cette plage pour me recentrer, me concentrer, et rassembler les énergies afin d’arriver sur scène pour le concert, au top de ce que je peux donner.
J.D. Est ce que tu médites également ?
Y.N. J’ai une armoire qui me suit partout dans la tournée, dans laquelle j’ai un tapis, un coussin, une bougie, mon Bouddha et … des boules quiès ! Une heure avant le concert, je m’enferme dans la loge et je me prépare : je fais des postures de yoga, des respirations, et je termine par une méditation assise et immobile. C’est après ce travail là que je fais mes meilleurs concerts…
J.D. En 1997 dans ton livre « Secrets etc… » tu écrivais « Je ne me réclame pas d’une seule religion, d’un seul Dieu. Je suis citoyen du monde. » Pourtant, récemment, en télé, tu as abordé le sujet du bouddhisme, suis-tu un enseignement dans ce sens ?
Y.N. Je confirme, je suis un citoyen du monde, même si pendant un temps, j’ai suivi l’enseignement de Sogyal Rimpoché, avec l’association Rigpa. Je crois au Karma, mais je ne suis pas bouddhiste, même si les fondements de cette philosophie religieuse m’inspirent totalement. Je crois à la réincarnation et en une force supérieure et divine qui régit le monde, je respecte cette force que j’attribue à la nature.
J.D. Penses tu que l’histoire de chacun est déjà écrite ?
Y.N. Il y a des moments où j’ai ce sentiment, et d’autres moments où je décide que j’ai un libre arbitre, des moments où je peux bousculer, provoquer Dieu !
J.D Peux-tu nous parler de cette fantastique tournée, peux-tu déjà en tirer un bilan ?
Y.N. : C’est une année particulière, avec tellement d’énergie dans tous les sens… C’est un échange qui va au-delà d’un simple concert, c’est un échange avec des êtres où se mélangent l’amour, la joie, l’espoir, l’espérance. Ce sont des énergies que je veux recevoir pleinement, tout ça rentre en moi. En ce moment, nous faisons cinq ou six concerts par semaine, c’est beaucoup de monde, d’ondes, de vibrations. Tout ça, je l’analyserai plus tard. Pour l’instant, j’emmagasine. Je ne peux pas avoir de recul. A la fin de la tournée, nous aurons joué devant près de 1 million de personnes. Je les vois toutes ! La tournée va s’arrêter, et puis, tout ça va se poser, ce sera le temps du repos pour repartir plus loin et trouver d’autres voies… Je suis au centre d’une énergie, je l’ai créée à travers ma musique et c’est ce que j’essaye d’exprimer, mais ce qui compte par dessus tout, c’est ce que l’autre perçoit, sa réaction qui me donne envie d’aller plus loin en tant qu’artiste. Je suis complètement lié à l’homme, il n’y a pas de différence entre ce que je fais dans la vie de tous les jours et sur scène, c’est la même chose, mais j’ai besoin de temps pour atterrir, je suis encore en vol plané !! Après coup, les choses vont se décanter, je pourrai mettre des mots, tout ça c’est de l’Amour. C’est presque déstabilisant par rapport à ce que nous sommes habitués à vivre. Je vois autour de moi des gens heureux, j’en suis bouleversé, cela me donne des élans de foi, d’espoir ; je ne le perçois pas comme quelque chose qui m’est destiné, nous sommes des milliers dans une salle pour passer un bon moment, surtout dans cette période de morosité où beaucoup de gens se séparent et n’ont pas le moral. Je ne suis qu’un participant à une grande fête où tout d’un coup la magie opère, chacun découvre que la joie existe au fond de lui, tout n’est pas perdu. Je me sens comme un témoin, je vois tout ça !
J.D. Avons-nous tous les mêmes possibilités ?
Y.N. Je pense que les options que l’on a sont infinies, et que nous ne le savons pas. Dans le livre « Secrets etc… » c’est l’histoire d’un sportif qui va jusqu’au bout de lui-même. Une chose que j’ai découvert sur le tard avec l’expérience, et en tant que papa, c’est que nous avons très peu confiance en nous, alors que nous avons tellement de choses extraordinaires à découvrir à l’intérieur de nous-même, et à travers l’autre aussi. Les options sont illimitées. Tout est une question de perception, c’est pour cela que chacun est unique. Tout est une question de ressenti, de façon de voir. On peut être cinquante dans une salle, chacun aura son point de vue sur un objet par exemple ou sur le bien et le mal…
J.D Parle-nous de l’échange avec ton public.
Y.N. Les gens qui viennent à un concert payent cher pour venir, le rapport est faussé, avant de monter sur scène je me promets de donner tout ce que j’ai d’énergie, de voix, de mouvement. Quand je ressors de là, j’ai le sentiment que j’ai donné quelque chose. Lorsque je suis dans ma loge, et que j’entends les gens qui commencent à chanter, tout ça pour moi, je me dis que ce n’est pas normal, j’ai beaucoup de chance et si je peux le faire, tout le monde peut le faire.
JD : Quel message as-tu envie de faire passer ?
On ne peut pas s’adresser de façon collective à quelqu’un en particulier, il faut connaître les gens… En réalité, je n’ai pas de « message », j’ai surtout envie d’écouter, surtout si ce sont des enfants. C’est plutôt moi qui leur pose des questions, « Alors comment tu fais ? » ….. J’aime les gens car chacun est très différent. Dès que je sors de chez moi j’essaye de donner envie de par mes actions, mais faire passer un message ce n’est pas mon fort. Mon grand père m’a dit de faire les choses dignement. Lorsque je suis un personnage public, surtout avec les enfants, j’essaye de montrer l’exemple.
J.D. Tu es à nouveau parrain, et porte parole, de « l’Appel des enfants à l’environnement* », initié par le WWF dans les écoles, pourquoi un tel engagement ?
Y.N. Pourquoi pas ! J’ai réalisé très tard l’importance de l’environnement. (coup de fil impromptu de sa fille.) Ce sont mes enfants qui m’en ont fait prendre conscience, ils m’ont ouvert les yeux sur l’écologie et sur ma responsabilité face à ma participation aveugle. Mon ignorance était affligeante. J’ai réalisé que je suis totalement responsable. A l’école, rien ne m’a été enseigné dans ce sens, pour moi, les problèmes environnementaux, apparaîtraient dans plusieurs siècles. Je suis conscient qu’il en va de l’avenir de la prochaine génération. Les dérèglements climatiques risquent de s’accélérer de façon incroyable, vraiment j’ai eu mauvaise conscience… j’essaye de rattraper le temps perdu du mieux que je peux, mais tellement tard ! Alors que des associations luttant pour la cause de l’écologie existent depuis longtemps, je restais ignorant à leurs sollicitations. En 2008 je suis devenu parrain de « l’Appel pour les enfants à l’environnement », initiative du WWF*, qui sera relayée dans 38 000 écoles primaires. Maintenant, il faut vraiment songer aux générations futures.
J.D. Il y a de cela vingt ans, tu créais avec ta mère « l’Association Des enfants de la Terre**» qui accueille chaque année 500 enfants dans « Les maisons tendresses » peux-tu évoquer cette action humanitaire ?
Y.N. Créer les Enfants de la Terre a été décisif pour nous ; pour nous séparément, et pour nous ensemble. L’association a donné sens à nos vies. Un sens à ma situation de « célébrité ». Ensemble nous avons trouvé une vraie raison de vivre. C’était une question de survie. J’ai envie de participer, de laisser une trace, j’ai envie d’échanger, de donner, je suis travaillé de l’intérieur par ma conscience. Dans un premier temps, j’ai été frustré parce que je ne trouvais pas le moyen d’y parvenir. Mais, par le biais de cette association je peux vivre plein de choses, et la tendresse en particulier. Nous avons cinq maisons, avec des enfants qui restent plus ou moins longtemps, nous veillons comme dans une famille, nous en prenons soin avec maman et plein d’amis qui nous aident. J’aimerais que, dans l’absolu, nous n’ayons pas de ces maisons. En attendant l’Age d’Or je mène ce combat qui me tient à cœur.
J.D. Dans tes chansons tu fais passer beaucoup d’émotions, de joie de vivre, est-ce une forme de pédagogie, de coaching collectif pour passer à l’action dans sa vie ?
Y.N. Il y a de ça dans certaines de mes chansons, j’aime bien proposer une solution, je suis porté par les gens, en tous cas artistiquement, porté par l’amitié, le respect, l’amour suivant les cas. Il est clair que des gens attendent que j’appuie sur ce bouton, un petit sourire, un espoir, cela me va très bien et j’essaye d’aller dans cette direction, c’est comme un destin. A ce moment là, je suis étonné de ce qui se passe entre un pays qui vit une forme de morosité et cet engouement pour un chanteur somme toute ordinaire, mais qui aime la vie. Beaucoup de personnes me font de magnifiques témoignages, c’est une osmose entre les êtres, je suis porté par cela. A noël, les enfants passent la commande des jouets qu’ils désirent le plus, c’est un peu pareil pour moi !
J.D. Nous avons tous des modèles qui nous tirent vers le haut qui nous murmurent à l’oreille quand c’est difficile « vas y tu es capable ». Nelson Mandela est il toujours ton idole ?
Y.N. Oui incontestablement, car il est difficile de pardonner vraiment à son ennemi, nous avons globalement du mal à le faire. Nelson Mandela est quelqu’un qui s’est sacrifié. Il incarne une trajectoire de compassion en temps que mode de vie, c’est un être d’exception, un soleil, le fait qu’il m’aie reçu chez lui a été un événement marquant dans ma vie. Dans les moments de rage intense je me rappelle cet homme.
J.D. Quelle est ta valeur essentielle ?
Y.N. L’honnêteté, le partage
J.D. quelle est ton intention la plus forte, la pointe de ta flèche ?
Y.N. DONNER ! * L’Appel des enfants pour l’environnement 2008 : chauffe pas la planète !
Dimanche 25 novembre 2007, parrainé par Yannick Noah, l’Appel des Enfants pour l’Environnement 2008 est lancé. Sa thématique : l’énergie. Pour la première fois, toutes les écoles primaires de France, soit 39.000 établissements, ont été invitées à répondre à l’appel des enfants pour l’environnement, grande opération de sensibilisation organisée depuis 7 ans par le WWF. Chaque année, le WWF édite des outils pédagogiques et propose aux enseignants de s’en emparer et de construire un programme d’éducation à l’environnement au cours de l’année scolaire. Pour aller plus loin et concrétiser le travail de connaissances fait avec leur professeur, le WWF propose aux écoles et aux enfants de participer à un concours national interclasses.
** L’association Les Enfants de la Terre, offre un cadre de protection de l’enfance. L’enfant ou la fratrie peuvent être accueillis au sein des lieux de vie des ENFANTS DE LA TERRE, après proposition des services sociaux, pour une durée indéterminée dans les cas suivants : Situation sociale trop précaire mettant l’enfant en danger – Hospitalisation d’un ou des parents- Maltraitance. De plus, durant toutes les vacances scolaires, les « maisons-tendresse » reçoivent des enfants en difficulté familiale, sociale ou médicale.
www.enfantsdelaterre.net